Quatre représentants LGBT, zero femme, chez Arrêt sur images. Billet de rage. Avec proposition.

Capture d’écran arretsurimages.net

Sur le plateau d’Arrêt sur Images consacré à la Marche des fiertés 2018, aucune femme n’était assise autour de la table. Pendant les quatre premières minutes de l’émission, une discussion s’engage à ce sujet. Voici une analyse de cette séquence et une proposition pour que de telles scènes télévisuelles ne se reproduisent plus jamais.

Les quatre premières minutes l’émission dont il va être question dans ce billet sont visibles ici.

J’écris ce texte sous le coup de l’émotion, de la colère, de la rage. J’ai rédigé suffisamment de posts, tribunes, messages, publics ou privés, posés, argumentés, chiffrés sur ce sujet pour pouvoir me le permettre.

Arrêt sur Images, site spécialisé dans l’étude des dysfonctionnements des médias, a organisé, à l’occasion de la Marche des fiertés, une émission liée aux questions LGBT. Autour de la table, quatre invités, des représentants de l’Inter LGBT, du collectif Claq, du STRASS et de SOS Homophobie. Zero femme.

Une mauvaise pratique du journalisme

Les journalistes français font en sorte, de manière générale, que l’exercice médiatique se pratique entre hommes blancs. Mais ici c’est bien plus grave. Le genre, les questions d’inégalité de représentations entre hommes et femmes, sont au coeur des problématiques LGBT. Ne pas inviter de femme sur un plateau, lorsqu’on en parle, relève de la faute journalistique. Pas juste de sexisme, mais d’une mauvaise pratique du journalisme. Venant d’un programme qui souhaite dénoncer les travers des médias, c’est particulièrement alarmant.

Pire, l’interrogation soulevée en début d’émission par Daniel Schneidermann, le présentateur de l’émission: « Mais pourquoi est-il si difficile d’inviter des femmes? ». Pas, « On a hésité en l’état à maintenir cette émission tant cela nous semblait problématique ». Pas, « On est manifestement incapable de faire le métier de journaliste correctement ».

Toujours la faute des femmes

A cette benoîte interrogation, il sera répondu, en gros, que c’est de la faute des femmes. Car elles auraient bien été conviées mais n’étaient pas disponibles ou ne se sentaient pas légitimes. Est ce qu’au moins quatre lesbiennes ont été contactées? Est ce qu’au moins quatre femmes bi ont été contactées? Est ce qu’au moins quatre femmes trans ont été contactées? Ou est ce que c’est juste pour les gays qu’on passe quatre coups de fil?

Une information, puisqu’il s’agit de journalisme, je n’ai personnellement pas été conviée. Lorsque je suis invitée sur un plateau et que ne peux m’y rendre, comme cela aurait été le cas cette fois, je trouve toujours une autre lesbienne, une autre femme pour y aller à ma place. Même si je ne suis pas payée pour cela, et qu’à chaque fois, j’ai en tête la superbe phrase d’Amandine Gay: « je ne suis pas votre mule! ».

Le génie des lesbiennes

Je connais des dizaines de lesbiennes, de femmes, qui auraient été brillantes autour de cette table, et je doute qu’une seule d’entre elles ait été sollicitée. C’est par ailleurs fort dommage, parce qu’il va bien falloir finir par dire que les lesbiennes sont dix fois plus percutantes à la télé, en interview, que les mecs. Il n’y a qu’à voir où étaient le génie et la créativité des slogans aujourd’hui à la Marche des fiertés. Côté gouines. Cela n’a échappé à personne.

Ce n’est pas nouveau, on retrouve les lesbiennes au premier plan dans tous les grands groupes activistes. En particulier lorsqu’il s’agit de stratégie médiatique et d’action publique. D’Act Up à Black Live Matter, en passant par le mouvement des lycéen.ne.s contre les armes, le MLF et tant d’autres, les lesbiennes et les femmes queer ont, en France comme aux Etat-Unis, été les têtes pensantes et agissantes de ces collectifs. Comme l’explique très bien Elisabeth Lebovici dans Ce que le sida m’a fait.

Maxine Wolfe, sans qui Act Up New York n’aurait pas été Act Up New York nous racontait encore l’autre soir, avec de grands éclats rires, la façon dont les mecs de tous les mouvements se retrouvaient quand même au premier plan avec la complicité des médias.

Il faut laisser votre place, les mecs.

Venons-en à nos quatre invités. Aucun d’entre eux n’a jugé bon de décliner cette invitation, ou de faire en sorte qu’une de leurs camarades militantes vienne parler à leur place. Ils sont, pour certains, coutumiers du fait. Je ne compte plus les messages envoyés à l’Inter LGBT il y a quelques années, à SOS Homophobie plus récemment, et à bien d’autres, pour leur demander notamment d’arrêter de systématiquement usurper la parole médiatique des lesbiennes au sujet de la PMA. D’où ce texte aujourd’hui.

Un point sur la réponse fournie par le président de SOS Homophobie lorsque Daniel Schneidermann interroge l’assistance sur le sexisme dans le milieu LGBT. Je précise qu’elle a le mérite d’exister car les trois autres ne se sont même pas donné la peine de répondre directement à la question.

Lui dit qu’il y a « un effort collectif » à faire.Mais non. L’effort est d’abord individuel. L’effort, c’est de renoncer à passer à la télé, dans les journaux. Avoir conscience du problème, de ses privilèges, ne suffit pas. Il faut laisser votre place, les mecs.

C’est vrai qu’il a fallu dix ans d’actions de La Barbe, pour qu’un homme, un député qu’on avait barbé un mois avant, choisisse de décliner l’invitation d’un panel ultra masculin le mois suivant.

Une proposition de campagne

Mais encore une fois, la responsabilité de ces représentants d’associations LGBT est plus grave. Lutter contre les LGBTphobies en contribuant à perpétuer les discriminations de genre, c’est jouer les pompiers pyromanes.

Alors que faut-il faire, pas pour qu’ils comprennent parce qu’ils ont très bien compris, mais pour qu’ils agissent? Je propose une campagne. Que toutes les organisations LGBT et leurs représentants répondent publiquement à cette question: « En tant qu’association LGBTI, continuerez-vous à perpétuer le système sexiste de la société, premier facteur de l’homophobie, en laissant les hommes de vos associations se rendre sur des plateaux à prédominance masculine et en laissant des hommes répondre à des questions sur la PMA? ». D’avance, merci de vous prononcer.

Merci à Silvia Casalino pour sa relecture attentive. Je muselle régulièrement mes critiques publiques de tel ou tel mouvement, tel ou tel militant LGBT, tant je sais que ce ne sont pas mes adversaires, et que je crois aux initiatives qui construisent plutôt qu’elles ne détruisent. Ce sera le cas, j’espère, de cette proposition.

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3 Comments

  1. Mais qu’est-ce qui vous permet d’appeler ces hommes blancs des hommes blancs ? Qu’est-ce qui vous dit qu’il ne sont pas non-binaires et racisés au fond d’eux-mêmes ?
    On peut se moquer, hein.
    Je vous trouve dure avec Daniel Schneidermann, qui invite beaucoup de femmes (et chez qui Océane Rosemarie a longtemps été chroniqueuse) et qu’on ne peut pas soupçonner de vouloir écarter quiconque du débat puisqu’il évoque lui-même le problème.
    Ce sont plutôt les associations qui devraient réfléchie à leur porte-paroles.

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  2. Vous critiquez les médias pour ensuite proposer que les associations règlent ce problème sexiste: “association LGBTI, continuerez-vous à perpétuer le système sexiste de la société, premier facteur de l’homophobie, en laissant les hommes de vos associations se rendre sur des plateaux à prédominance masculine et en laissant des hommes répondre à des questions sur la PMA? ”
    Faute journalistique chez asi qui tente mieux que d’autres l’équilibre homme femme?

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